J'ai rencontré Akel Akian quand j'étais en première année du Conservatoire en 2009 pendant un travail des élèves et du Théâtre de la Mer sur les crieurs publics. Au début je pensais qu'il était totalement fou. Il me déstabilisait complètement parce qu'il ne s'interessait absolument pas à ce que les gens attendaient de lui. Petit à petit j'ai compris que cela était pour moi une immense chance de le connaître, moi qui était fixée, tétue et trop droite. Après une demi-journée je l'aimais profondément.

Pour moi il était vraiment la preuve que le théâtre peut être vivant. Le théâtre était en lui. Je pense que c'est Akel qui m'a fait comprendre en premier que le théâtre ce sont les gens, c'est la rue, ce sont les vieux, les jeunes. Le théâtre c'est sale, propre, moche et beau, c'est une tasse de thé et une cigarette, un sourire et un arrêt de bus. C'est n'importe où et surtout toujours là où l'on ne l'attend pas.

De toute ma vie, je n'ai jamais autant ri qu'avec lui et je pense que parfois on riait des demi-heures sans cesse, parce qu'on se comprenait. Parce qu'au fond de nous il y a des enfants et c'est eux qui rient sans retenue.

Il me faisait lever les yeux au ciel, tellement il était désorganisé, mais c'est cela que j'aimais aussi, car il ne se laissait jamais impressionner par la burocratie et la convention. Fatiguant parfois mais seulement parce que nous n'en avons plus l'habitude de faire autrement de ce que la société attend de nous, différemment, moins dans la vitesse, dans la flexibilité, être moderne et maléable. Lui il était toujours, toujours fidèle à lui-même.

Si le conservatoire était divisé en trois groupes, les deux autres groupes avec Frédérique et Jean-Pierre travaillaient une fois par semaine, beh nous, avec Akel, on répétait tous les jours ! On puisait dans les paroles des habitants de Frais Vallon, on se mettait à leur place. Et en même temps on faisait des pauses café d'une heure et Akel nous parlait du Maroc, son pays et du Berbère, langue qui pour lui ressemble à l'allemand, et la preuve.....c'était le mot "kiff".

Nous avons joué un poème en allemand devant le métro de la rose. Nous avons déroulé un tapis en plein marché de Frais Vallon pour crier les mots des habitants. Nous nous sommes faits insulter dans un tunnel de la Busserine. Nous nous sommes trompés de métro avec lui. Nous avons bu des verres et des verres en parlant du nouveau théâtre algérien. Nous nous sommes arrétés en pleine rue pour rire tous ensemble.

Quand il était malade et quand on s'appellait ou se voyait, il arretait pas de me persuader du fait qu'il n'allait pas mourir. Je ne sais pas s'il y croyait mais en tout cas moi il arrivait à me le faire croire. Il me disait qu'on avait beaucoup à faire encore. Qu'il fallait jouer "aerobase" d'Aziz Chouaki. Quand je terminais la conversation j'en étais convaincue profondément. Et cela fait bizarre de savoir que l'homme qui était la vie soit mort. Mais j'espère qu'il continue son théâtre là-haut et surtout qu'il nous surveille.

J'aimerais encore lui dire merci de m'avoir appris à me prendre moins la tête, de voir le théâtre comme il est...humain.

Mais avant tout, il m'a fait comprendre que les autres, ils ont encore plus peur que nous. Et cela est la base pour réussir une lutte.

Merci Akel. Je parlerai de toi, tellement que personne ne pourra jamais t'oublier. Tu resteras avec nous encore des siècles et des siècles à Marseille et dans nos coeurs.

Mais saches que la tristesse est là depuis que tu es parti.


Akel Akian est avec Frédérique Fuzibet, fondateur du théâtre de la Mer. Il est décédé le 24 Janvier 2012. Un portrait détaillé est disponible ici.